Mais, dûment fiché es-qualités par les divers organismes de police qui se disputaient le privilège de pourfendre la subversion, Boleslaw – à quarante et quelques années – commençait à désespérer de pouvoir jamais accomplir un coup. Selon qu’on penche vers la gauche ou la droite, on ne réussit dans ce genre d’entreprise qu’en s’appuyant sur les masses ou l’armée. Or, sous le régime que Boleslaw rêvait de renverser, les masses – repues – avaient perdu leur verve belliqueuse et l’armée, clotrée dans ses casernes, ne songeait qu’à la retraite. Diable !  Pour le boutefeu qu’il était, c’était là une situation dramatique puisque, sans l’appoint d’une piétaille qui accepte de mourir glorieusement pour la cause, il n’y a plus d’insurrection possible.
Incapable de rallier autour de lui des cohortes de partisans musclés, Boleslaw confiait parfois à Krystyna, sa compagne, la crainte qui1 éprouvait de vieillir dans la sujétion au lieu d’exercer ses talents de guide au sommet.d’une hiérarchie qu’il accusait quasiment d’usurpation.
Si, par esprit de conciliation, Krystina affectait d’épouser grosso modo les tendances politiques de son amant, elle n’en était pas moins comédienne avant tout et, dernièrement, l’attribution du rôle de Marie Stuart dans une pièce traduite de l’anglais avait comblé ses vœux les plus intimes. Reine, elle s’était toujours sentie in petto ; et reine, elle était..maintenant sur le proscenium aux appiaudissements des fouies soumises.
– Dommage, nota-t-elle, flattée par son succès, à l’intention de Boleslaw, que tu ne sois pas acteur, toi aussi … Tu te consolerais de tes déboires en jouant les Grands de ce monde entre cour et jardin. Que la couronne soit en or ou en toc, le public ne voit pas la différence…